PREMIERE PARTIE :
DEFINITION DE LA PHRASE RELATIVE EN KURDE

A. CONSIDERATIONS GENERALES SUR LA RELATIVE

I. La relative, est-elle une subordonnée adjective?

§1. La définition précise de la proposition relative a toujours posé beaucoup de problèmes, dans une large mesure en raison d'une confusion de critères et de points de vue divers, qui finissent par rendre caduque toute théorie. Il faut convenir que l'ensemble des faits linguistiques et extra-linguistiques qui entourent la relative est particulièrement complexe, et qu'il est, par conséquent, presque impossible de fournir une définition qui soit en tout point satisfaisante. Il n'est pas question ici de rendre compte de toutes ces théories ni d'en offrir une nouvelle, mais notre propos est simplement de rappeler en quelques grandes lignes les points qui nous semblent les plus importants en vue d'une définition de la relative en kurde, ce qui nous permettra d'établir des critères pour son analyse (cf. I, B et C).

§2. Dans les grammaires traditionnelles, l'on définit les relatives comme étant des propositions subordonnées adjectives, c'est à dire, des propositions qui auraient le sens et la fonction d'un adjectif.21 Les faits montrent qu'il faut préciser et beaucoup nuancer cette définition, trop générale et trompeuse. En effet, on s'apperçoit que la relative peut presque toujours permuter avec un adjectif, mais il n'existe pas souvent d'adjectif qui soit pleinement équivalent par le sens, et, ce qui est encore plus important, les relatives ne peuvent pas remplir toutes les fonctions syntaxiques propres à l'adjectif. D'ailleurs, elles ne semblent pas être les seules à pouvoir s'assimiler à un adjectif. Par conséquent, il faut davantage affiner la définition de la relative, sur la base de critères plus stricts22.

i) La relative est une expansion nominale

§3. Claude Hagège (La structure , p. 60) définit l'énoncé complexe comme étant "celui qui contient deux ou plusieurs prédicats en relation hiérarchique", et il y ajoute: "une différence essentielle sépare deux types: c'est soit à un nom que se subordonne l'énoncé dépendant, appelé alors proposition relative, soit à un verbe". Encore que lui-même nuance plus tard cette définition, il s'accorde d'abord à admettre que l'on peut considérer l'ensemble très divers des propositions relatives comme celui des propositions dépendant des noms.

Ce fait a été senti et formulé par d'autres linguistes. Martinet préfère parler d'"expansion", en se référant à la coordination et à la subordination, et il identifie celle-ci à la détermination. Les relatives, tout comme l'adjectif et le syntagme prépositionnel, sont des expansions du syntagme nominal23. Christian Touratier rejoint en quelque sorte ce même point de vue24.

La relative s'assimile donc à l'adjectif sur ce point essentiel: comme lui, elle sert d'expansion nominale, ce qui explique leurs permutations dans beaucoup de cas. En étant tous deux des expansions nominales, l'adjectif et la relative sont susceptibles d'occuper la même place, voire d'apparaître ensemble en rapport de coordination. Mais leur fonctionnement syntaxique n'est pas toujours tout à fait équivalent. L'une des fonctions essentielles de l'adjectif est celle d'attribut, fonction qui ne peut pas être remplie par la relative25. Ceci nous permet aussi d'établir quelques précisions par rapport à des théories comme celle de la transposition, qui nous parle de la transposition fonctionnelle en adjectif que subit une phrase moyennant le pronom relatif (cf. §7 ). Il vaudrait mieux parler de transposition en adjectif seulement par rapport à certaines des fonctions qu'il peut revêtir.

ii) La relative est un déterminant

§4. La relative détermine, avec des degrés variables de cohésion, un terme généralement nominal (ou pronominal).26 Ceci explique l'emploi fréquent, comme indices de la relative, d'éléments qui sont en fait des marques de détermination nominale. Benveniste, dans un brillant article 27, a étudié cette utilisation de marques formelles propres à la détermination nominale comme indices de la relative, tout en prenant des exemples empruntés à plusieurs langues appartenant à des groupes très divers. Ceci a conduit l'auteur à considérer les relatives comme une sorte d'"adjectif syntaxique déterminé", et le pronom relatif, là où il existe, comme un "article syntaxique déterminatif"28. Ces dénominations peuvent sembler excessives, mais elles prouvent les connexions profondes qui existent entre ces deux phénomènes. En quelque sorte, la relativation peut se comprendre, au niveau fonctionnel, comme une détermination où l'élément déterminant n'est pas un syntagme mais toute une proposition. L'emploi des marques de détermination nous intéresse de façon particulière, car il s'agit d'un fait bien présent en kurde (cf. II, B; III, B; et §§181-182).

Cependant, et comme l'a remarqué Hagège, la relative est un déterminant complexe, un déterminant qui contient un prédicat. Ceci explique les échanges de valeur qui peuvent se produire (par exemple, avec les hypothétiques, cf. §§24(b) et 184-186.).

II. Stratégies de relativation

§5. Si l'on prend un énoncé comme l'homme qu'il voit mange , on peut expliquer le fait de la relativation de la manière suivante: dans la structure l'homme qu'il voit , la place du complément direct après voit , transitif, reste vide. Cette structure est donc une relativation du complément homme de l'énoncé complet il voit l'homme . Le relatif (que) remplace le complément, qui est le centre, en une autre position. On peut schématiser ce phénomène de la façon suivante (cf. §7):

l'homme mange

l'homme qu'il voit mange

il voit l'homme

Cette analyse n'est pas toujours applicable, suivant les langues, mais il convient bien au français ainsi qu'au kurde.

Le substantif déterminé par la relative, l'homme , qui est le centre relativé, reçoit généralement le nom d'antécédent (cf. II).

§6. (a) Les stratégies de relativation varient selon les langues, et une seule langue peut en connaître plus d'une. Hagège29 distingue quatre possibilités pour les relatives en "qui" (lorsque la fonction relativable est le sujet-agent: l'homme qui arrive mange ), en plus de la séquence:

a) une nominalisation avec participe et sans relatif: finnois, langues indo-aryennes et dravidiennes, berbère, tibétain, turc (gelen adam , qui signifie "l'homme qui vient" ou "l'homme qui est venu", litt. "venant homme") (cf. note 29).

b) un pronom relatif condensant le subordonnant plus le substitut du nom relativé à la fonction requise (français et langues romanes en général); ces deux termes sont séparés dans d'autres langues, où le deuxième, qui peut être anaphorique ou cataphorique selon que la relative suive ou précède le centre, est appelé résomptif: arabe, tigré.

c) une subordination par un terme spécial, par une flexion ou affixe verbal, ou encore par un paradigme de personnels particulier.

d) une détermination (marque de détermination): déictiques, autres nominants, joncteur, flexion casuelle d'acord avec le centre.

(b) Le kurde, comme le persan30, connaît plusieurs stratégies, les unes plus courantes que les autres. Bien qu'il ne connaisse pas une forme particulière pour le pronom relatif (cf. §§98 et ss.), certains interrogatifs peuvent y être employés, dans certaines conditions, en fonction de pronom relatif (cf. §§140-143). Pourtant, la stratégie la plus usitée se fait au moyen d'un subordonnant initial (cf. III, B) plus un élément anaphorique à l'intérieur de la subordonnée, que l'on peut considérer comme un résomptif (cf. III, C). Les marques de détermination ont un rôle très important (cf. II, B; III, B; et §§181-182).

III. Le relatif et l'origine des relatives

§7. Le pronom relatif n'existe pas dans toutes les langues. Ceci n'implique pas l'absence de la relative dans ces langues, en dépit de l'avis de certains spécialistes comme Touratier ("s'il n'y a pas de pronom relatif, il n'y a pas de relative"31). Là où il existe un pronom relatif restrictif, il provient d'un déictique ou anaphorique, d'un interrogatif ou d'un interrogatif-indéfini (cf. §8 et III, D)32. Ce pronom intègre à un énoncé une information antérieure par permutation des termes d'une corrélation: il a lu un livre; il l'aime > lequel livre il a lu, il l'aime. La permutation donne en français il aime le livre qu'il a lu. Une structure hiérarchique d'information produit un énoncé complexe à relative restrictive (cf. §§150-163).

Les composés possessifs du védique supposent, en indo-européen, l'annexion au nom, sans relatif, de tout un énoncé33. Le kurde abonde en ce type de composés (p. ex. chaw-shîn , "aux yeux bleus, (qui a) les yeux bleus")34. Des étapes de ce processus se trouvent dans les relatives adjointes (non enchâssées) et les relatives dites implicatives (qui ont avec le centre un lien d'implication)35, que l'on trouve en coréen ou en japonais. Les relatives descriptives, par contre, accordent plus d'importance à ce que dit l'énoncé (cf. §§150-163).

§8. (a). En kurde, certains interrogatifs ( "qui", chî "que, quel", etc.)(cf. §§140-143.), de même que certaines locutions indéfinies (her chî "tout ce qui")(cf. §§144-145.), sont employés comme des pronoms relatifs qui introduisent des relatives sans antécédent exprimé. Les relatives introduites au moyen de ces formes sont toujours des restrictives (cf. §178).

(b) Le relateur (-y après voyelle), que nous appelons particule relative enclitique (cf. §§99-101.) est exclusif des relatives restrictives (cf. §180.). Ce relateur, qui aujourd'hui n'a qu'une valeur de subordonnant introduisant des restrictives, a son origine dans l'ancien pronom relatif des langues iraniennes, tout comme l'ézafé (cf.§99). D'autre part, cette particule relative relie la proposition subordonnée à sa principale (à l'antécédent, directement), de la même façon que l'ézafé relie le déterminant (adjectif, complément du nom) à son déterminé (substantif, pronom) (cf. §99). En kurde aussi, la connexion et les similitudes entre la relative et l'adjectif sont donc évidentes. Pourtant, les faits sont aussi plus complexes que cela. Nous n'avons pas pour objectif d'établir ici une comparaison systématique entre les stratégies de la relativation en kurde et tous les moyens possibles, dans cette même langue, pour déterminer un nom36. Il est intéressant, cependant, de remarquer que la relative descriptive ne peut pas s'introduire au moyen de la particule relative enclitique (cf. §180.). A cet égard, là où le français emploie un adjectif descriptif, en position parenthétique, le kurde préfère utiliser une relative descriptive. Pour en revenir à l'adjectif déterminatif, le kurde central connaît encore un autre moyen pour relier le déterminé à son déterminant: la particule de liaison -e 37, qui apparaît souvent dans la composition nominale38, mais que l'on ne retrouve pas dans les relatives.

IV. Rapports de la relative avec l'épithète

§9. Nous avons vu que la définition de la relative comme une subordonnée adjective reste insuffisante, bien qu'elle soit commode. Les rapports existant entre la relative et l'adjectif sont évidents, même au niveau du sens ("les langues sans adjectif utilisent une relative à verbe d'état là où les autres ont un adjectif: l'enfant sage/l'enfant qui est-sage " 39), mais il est clair que l'on ne peut pas identifier une relative à un adjectif. D'un point de vue sémantique, le fait que les dictionnaires aient l'habitude de définir l'adjectif au moyen d'une relative n'implique pas que ceci soit toujours possible. Syntaxiquement, la relative ne peut remplir qu'une partie des fonctions de l'adjectif: elle ne peut pas fonctionner comme attribut, à moins qu'elle soit substantivée, ce qui suppose un changement de catégorie, une transposition.

Christian Touratier (La relative , pp. 52-62) contourne la difficulté en assimilant la relative à l'épithète, celui-ci étant compris comme "toute expansion d'un lexème non prédicatif qui est dépourvue d'un morphème fonctionnel propre pour indiquer sa fonction", définition qu'il emprunte à Martinet40. L'adjectif n'a pas l'exclusivité de la fonction d'épithète, c'est-à-dire que l'adjectif n'est pas le seul à fonctionner comme expansion nominale. En effet, un syntagme nominal ou un syntagme prépositionnel peuvent aussi être des expansions. La relative est alors de même une épithète, et non un adjectif, ce qui explique les différences de fonctionnement syntaxique existant entre eux.

§10. Jusqu'ici nous avons signalé des faits qui mènent à une définition générale de la relative d'après certains linguistes. Nous avons également indiqué quelques particularités du kurde qui s'accordent avec ces faits généraux. Cependant, pour bien établir une définition de la relative en kurde, il nous faut encore analyser d'autres faits propres à cette langue. Tout d'abord, nous admettons que la relative est une proposition qui sert d'expansion nominale, comme l'adjectif. Elle est un déterminant, comme le signalent les linguistes kurdes eux-mêmes41, et comme le laisse déjà comprendre la terminologie employée en kurde pour s'y référer: riste-y shön-kewtû-y diyarxerî , "phrase subordonnée déterminative". L'antécédent est dénommé naw-î diyarxiraw "nom déterminé"42. Voici un exemple qui montre très nettement les rapports entre la relative et l'épithète:

J.G. 167. ...ta tenanet na-yel-in bi-b-î be "kabira-ke-y le her dû cejn bû"-sh

...[ces deux parties] ne te laissent même pas devenir un homme neutre (litt. "l'homme qui pourrait assister à deux fêtes différentes").

Dans cet exemple, le caractère d'épithète de la relative est renforcé syntaxiquement par la présence de l'adverbe -sh "aussi" (cf. §104(b)), qu'on trouve rattaché à l'ensemble constitué du substantif antécédent et de la relative, et qui est en corrélation avec ta tenanet "même".

B. FONCTIONS RELATIVABLES

§11. Nous avons vu précédemment (§5) que la proposition relative est un énoncé inachévé où, si l'on restitue un centre à la place vide, il apparaît que le relatif (lorsqu'il existe) l'a remplacé en une autre position (l'homme qu'il voit mange < il voit l'homme; l'homme mange ). La relativation consiste en ce processus. Selon les langues, plusieurs fonctions sont relativables. On peut établir une hiérarchie descendante au sein de ces fonctions: du sujet/agent (relatives en "qui") à l'objet/patient (relatives en "que"), puis aux compléments dits périphériques. Beaucoup de langues ne relativent que les fonctions supérieures, tandis que d'autres connaissent même la relativation des déterminants de deuxième degré ou du complément du comparatif43.

Le relatif, quand il existe, permet de bien restituer le centre selon la fonction qu'il indique. Le résomptif, quand il apparaît, facilite l'analyse, car il remplit la place vide.

§12. Le kurde peut relativer un grand nombre de fonctions diverses. L'absence de relatif, que l'on ne trouve en effet que dans certaines circonstances sous la forme d'interrogatifs (cf. §§140-143.), se voit compensée par l'emploi systématique des résomptifs, des anaphoriques qui indiquent la fonction de l'antécédent au sein de la relative. Nous insisterons plus tard sur cet emploi (cf. III, C), mais d'emblée il nous semble important de signaler ici quelles sont ces fonctions que le kurde peut relativer, car ceci nous permettra de mieux aborder l'analyse de la phrase relative. Les fonctions relativables nous situent au cÏur même du fait de la relativation, c'est à dire, la transformation de deux énoncés en un seul par permutation (cf. §7). Les stratégies de relativation ne seront abordables qu'après avoir indiqué les fonctions syntaxiques qui sont susceptibles de subir ce processus.

Nous aborderons ces fonctions de manière générale. Certaines particularités seront analysées plus largement dans le chapitre concernant les résomptifs (cf. III, C). Les structures-type pour la phrase simple, qui nous permettent d'aborder la structure de la phrase complexe, sont abordées dans le chapitre concernant la place de la relative (cf. III, A). Ceci éclairci, on trouve en kurde des relativations des fonctions qui suivent: sujet-agent (§13), complément direct-affecté direct44 (§14), complément indirect-affecté indirect (§15), régime prépositionnel (§16), compléments circonstanciels (§17), compléments du nom (§18), complément du partitif (§19).

i) Sujet-Agent

§13. (a) Le sujet est normalement relativable (cf. §§125-126):

Ex. H. 51. min-îsh ke sîf u pîs u chilkin chû-m , gut-im

moi, à mon tour, qui (y) allai crasseux, sale et malpropre, je dis:

Dans cette phrase, on trouve une relativation du sujet (min,"moi") de l'énoncé complet *min-îsh sîf u pîs u chilkin chû-m , "moi, à mon tour, j('y) allai crasseux, sale et malpropre".

(b) L'agent de la construction agentielle est aussi relativable (cf.§114):

Ex. J.G. 18. jin-êk-î l-ew la-y em-ewe pel-î minal-êk-î ra e- kêsha zirîkan-î

une femme qui, de l'autre côté (d'où il était), traînait le bras d'un enfant, cria.

L'énoncé précédent constitue une relativation de l'agent, qui est d'ailleurs présent sous la forme de l'affixe d'agent (cf.§114), de l'énoncé *jin-êk l-ew la-y em-ewe pel-î minal-êk-î ra e-kêsha , "une femme, de l'autre côté, traînait le bras d'un enfant".

Voici encore un exemple où l'on trouve les deux cas (sujet et agent):

H. 9. ême ke minal bû-yn u dest-man kird be giryan, hîch

nous qui étions des enfants et commençâmes à pleurer, rien

Dans la première relative, l'élément relativé est le sujet (*ême minal bû-yn , "nous étions des enfants"), tandis que, dans la deuxième, il est l'agent, présent sous la forme de l'affixe d'agent: *ême dest-man kird be giryan , "nous commençâmes à pleurer".

ii) Complément direct-Affecté direct

§14. (a) Complément direct (cf. §117):

Ex. P.G. 133. em qur-e-kari-ye-y l-êre be bêgar de-y-ke-yn l-ewê b-î-ke-yn gelê bash-tir be rê de-ch-în

ce travail avec la boue que nous (le) faisons ici par la force, si nous le faisons là-bas, nous irons beaucoup mieux.

L'énoncé complet, avec le complément direct relativé restitué, est *em qur-e-kari-ye (l-êre be bêgar) de-ke-yn , "nous faisons ici ce travail avec la boue par la force" (notez la disparition du résomptif -y de la relative: de-y-ke-yn (cf. §117.).

(b) Affecté direct de la construction agentielle (cf. §127):

Ex. J.G. 153. ew-î to ta êste bo-t gêra-yn-ewe tenya bas-î gîran-eke-t bû

ce que tu nous as raconté jusqu´à maintenant, était seulement l'histoire de ta détention.

Si l'on restitue le centre relativé (affecté direct), nous avons l'énoncé *to ta êste ewe45-t bo gêra-yn-ewe , "jusqu'à maintenant, tu nous as raconté cela".

iii) Complément indirect-Affecté indirect

§15. (a) Complément indirect (cf. §118):

Ex. P.G. 109. yek-êk-e l-ew dewlemend u xawen milk-e gewr-an-e ke le Sine pê-yan e-lê-n E'yan

il est l'un des (litt. de ces) riches et propriétaires de grandes fortunes que, à Sine (Senna) on nomme (litt. ils les disent) "les Notables").

L'énoncé suppose une relativation du complément indirect dans *le Sine b-ew dewlemend u xawen milk-e gewr-an-e e-lê-n E'yan , "à Sine, à ces riches et propriétaires de grandes fortunes, on dit (litt. ils disent) les Notables" (notez l'emploi de la préposition absolue gouvernant le résomptif -yan dans la relative, cf. §120).

(b) Affecté indirect de la construction agentielle (cf.§§119 et 128):

Ex. Hê. 5. zor shit-î be nerx l-ew fêr bû-m ke le jiyan-da kelk-im lê wer girt-in

j'appris de lui beaucoup de choses de valeur, dont, dans ma vie, j'ai profité

Nous avons ici une relativation de l'affecté indirect dans * le jiyan-da kelk-im le zor shit-î be nerx wer girt , "dans ma vie, j'ai profité de beaucoup de choses de valeur".

iv) Régime prépositionnel

§16. Le régime prépositionnel d'une locution verbale (cf. §122) peut aussi être relativé:

Ex. H.K. 10. obal be mil-ê ew mamosta-y emin gê-m lê-y bu- w-e

(toute) la responsabilité (est) au (à ce) maître de qui j'ai appris [cette histoire] (litt. que moi mon oreille à lui a été)

Cet énoncé suppose une relativation du régime prépositionnel de la locution verbale (Erb. ) lê bûn , "écouter, entendre (litt. être l'oreille à)": *emin gê-m l(-ew) mamosta bu-w-e , "moi, j'ai écouté le (ce; cf. §§46-50 et 181-182) maître (litt. mon oreille à été à ce maître)".

v) Compléments circonstanciels

§17. Des compléments circonstanciels ayant plusieurs sens peuvent être relativés (cf. §§120-121):

Ex. J.G. 213. bird-iy-e ew shön-e-y xo-y lê bû

il l'amena à l'endroit où il (y) était (litt. qu('il) fut dans lui).

Nous avons dans cet exemple une relativation du complément circonstanciel de lieu de l'énoncé complet *xo-y l(-ew shön-e(ke) (cf. §§46-50 et 181-182) , "il (lui-même) fut dans cet endroit".

vi) Compléments du nom

§18. (a) Les déterminants du nom peuvent être relativés (cf. §123). Il peut être un déterminant du premier degré:

Ex. P.G. 105. tamasha-y kird Reshîd Mem Hebas ke bawk-î yek-e dewlemend-î Qacir-e be tenya l-ewê-ye

(elle) vit (que) Reshîd Mem Hebas, dont le père (litt. que son père) est le principal riche de Qacir, était (litt. est) là-bas tout seul.

Si l'on restitue le centre relativé, nous avons *bawk-î Reshîd Mem Hebas yek-e dewlemend-î Qacir-e , "le père de Reshîd Mem Hebas est le principal riche de Qacir".

(b) Les déterminants du deuxième degré peuvent être aussi relativés:

Ex. H. 49. le xan-êk-î kon-î naxosh-da de-jiya-m ke bas-î naxoshi-yeke-y be kitêb tewaw na-b-ê

je vivais dans une vieille maison désagreable dont le récit du malheur (litt. que le récit de son malheur) ne finit pas avec un (seul) livre (= un livre ne suffirait pas à raconter le malheur de la vieille maison où je vivais).

L'énoncé complet, en restituant le centre, est *bas-î na-xoshi-yeke-y xan-(êk-)eke-y kon-î naxosh be kitêb tewaw na-b-ê , "le récit du malheur de la vieille maison désagreable ne finit pas avec un livre".

vii) Complément du partitif

§19. Le complément du partitif peut être relativé (§124):

Ex. J.G. 137. eger chî e-sh-im-zanî jimare-y em cheshn-e kes-e bê-wure w xo-perist u tirsnok-an-e-sh zor kem-in le rez-î xebatker-ekan-a -ke dax-im na-ch-ê min xo-m yek-êk nîm l-ewan- ...

même si je savais aussi que le nombre de lâches, d'égoïstes et de peureux était très faible parmi les combattants -dont malheureusement je ne fais pas partie (litt. que, je suis désolé, je ne suis pas l'un d'entre eux)- ...

Dans cet exemple, nous avons une relativation du complément du partitif, représenté dans la relative par le pronom personnel tonique ewan "eux" (cf. §131(c)). Si nous supprimons la relative, et aussi la proposition incise dax-im na-ch-ê "je suis désolé", nous aurons: *min xo-m yek-êk nîm le xebatker-ekan , "moi-même, je ne suis pas l'un des combattants".

Voici un autre exemple:

H. 20. u sê minal-î wurd-îsh-î be ser min-da hêsht-ewe ke gewre-ke-yan no sal u pichûk-eke-yan sal u nîw bû

et il laissa à ma charge (litt. sur ma tête) aussi trois petits enfants dont l'ainé (litt. que leur aîné, l'aîné d'entre eux) avait (litt. eut) neuf ans et le cadet (litt. leur cadet) un an et demi.

Cet énoncé suppose une relativation du complément du partitif, représenté dans la relative par le pronom personnel enclitique -yan. Si l'on supprime la relative, nous avons l'énoncé * le sê minal-î wurd-ekan, gewreke no sal u pichûk-eke sal u nîw bû , "des trois petits enfants, l'aîné avait neuf ans et le cadet un an et demi".

C. CRITERES POUR L'ANALYSE DE LA RELATIVE

I. La phrase relative

§20. La distinction traditionnelle entre proposition principale et proposition subordonnée offre une vision simpliste des vrais rapports existant entre elles. La grammaire traditionnelle a souvent défini la proposition principale comme ce qui reste lorsque l'on enlève la subordonnée, tout en lui concédant une pleine autonomie de sens et de structure. Les faits sont pourtant plus complexes. Parfois, si l'on enlève la subordonnée, ce qui reste est incompréhensible. D'ailleurs, quelle qu'elle soit, la subordonnée impose souvent des changements importants dans la structure morphosyntaxique de la principale. Les rapports entre la principale et la subordonnée sont ceux de deux énoncés en relation hiérarchique, mais l'ensemble doit être analysé comme un tout. Il y a des rapports d'interdépendance entre les deux propositions qui ne nous permettent pas d'analyser l'une sans en faire autant pour l'autre46.

§21. Par rapport à ce que l'on vient d'exposer, la relative participe des mêmes caractéristiques. La relative et la principale doivent être analysées comme constituant une unité interdépendante. En ce qui concerne le kurde, la présence d'une proposition relative impose très souvent des changements profonds dans la structure de la principale. Si en général la structure de la principale détermine la place de la relative, l'ordre des termes de la première peut se voir affecté par la présence de la deuxième (cf. III, A). Ceci arrive souvent avec la construction agentielle (cf. §§80-83). D'autre part, la relative peut imposer certaines marques à l'antécédent, marques qui, dans beaucoup de cas, n'existeraient pas si elle était absente (cf. II, B; et §§181-182). C'est pour ces raisons que notre analyse doit tenir compte de cette interdépendance, et nous considérons alors pertinent d'appeler phrase relative l'ensemble consitué de la proposition principale et la proposition relative qui lui est subordonnée.

II. La parataxe

§22. Lorsque le sens de la relative est clair, le subordonnant initial peut manquer, et à ce moment-là, la relative se joint à sa principale par parataxe (relateur Ø) (cf. §§107-110). La parataxe est un phénomène assez fréquent en kurde. Elle constitue le système de jonction le plus courant dans la langue parlée ainsi que dans la littérature de transmission orale. Nous n'avons pas considéré dans notre étude tous les cas de parataxe qui auraient pu contenir une relative. Nous nous sommes bornés aux cas où la relativation était un fait clair d'après la structure de la phrase ou bien d'après le sens. Il faut signaler ici que de nombreuses relatives descriptives sont susceptibles d'être remplacées par une proposition coordonnée à la principale (cf. §159). Cette coordonnée se joint souvent à la proposition antérieure par parataxe, sans besoin de conjonction. Pourtant, il nous semble exageré de chercher des relatives dans tous les cas de parataxe qui pourraient en suggérer une. Voir l'exemple suivant:

H.K. 10. hebû ne-bû pasha-yek hebû, sê jin-î hebû chi (=hîch ) mindal-î ne-de-bû

il était une fois (litt. il (y) avait, il n('y) avait pas, il (y) avait) un roi, il avait trois femmes, (mais) il n'avait pas d'enfant.

Dans cet exemple, emprunté à la littérature populaire (cf. INTR., IV), les trois dernières propositions juxtaposées sont en rapport de coordination. Il serait possible, pourtant, d'y voir des relatives: "il était une fois un roi (qui avait trois femmes)(mais)(qui n'avait pas d'enfant)". Toutefois, nous ne croyons pas pertinente cette hyperanalyse, car elle finirait par nous éloigner de notre vrai objectif. Les rapports entre la relativation et la coordination sont, à certains niveaux, évidents, mais ils appartiennent plus à la logique qu'à la linguistique (cf. §§150-163). Ce serait faire violence à la linguistique que de chercher de relatives d'une manière arbitraire. Voir encore un exemple qui se rapproche du précédent:

H.K. 140. pasha-yek hebû kîj-ek-î hebû, kîj-eke-y kur-î bû

il y avait un roi (qui) avait une fille, sa fille avait un fils.

On peut admettre facilement une relative dans la deuxième proposition (kîj-ek-î hebû ), de sens plûtot rescriptif, mais il ne nous semble pas possible d'en faire autant pour la troisième (kîj-eke-y kur-î bû ), car, dans ce cas, l'on ne voit pas très bien pourquoi l'antécédent devrait être répété (kîj-eke-y ). Cependant, nous pouvons analyser d'un point de vue logique l'énoncé comme ayant deux relatives, l'une restrictive, l'autre descriptive, fait que démontre la traduction française la plus adéquate: "il y avait un roi qui avait une fille, laquelle avait un fils".

Toutefois, la logique et la linguistique ne peuvent toujours être séparées. Elles ont souvent des rapports étroits qui permettent d'expliquer beaucoup de phénomènes. En ce qui nous concerne, certains exemples apparaissent douteux:

P.G. 46. chû-yn-e jûr-ewe, chi bi-bîn-în? seyr u semere! hode-yek-î qurîn, dîwar-ekan-î be dûkel resh bi-bû, mîch-eke-y qurmawî bû, taq-e pencer-êk-î pichûk-î têda bû, bo ser-î heywan-eke

nous entrâmes, (et) que voyons-nous?, quelque chose d'étonnant!, une chambre d'argile, (dont) les murs (litt. ses murs) avaient été noircis par la fumée, (dont) le plafond (litt. son plafond) était couvert de suie, (et où) il y avait une seule petite fenêtre, donnant sur la véranda.

Dans cet exemple, le changement du sujet des trois propositions juxtaposées (dîwarekan, mîcheke, taq-e pencerêk ) nous incline à considérer ces propositions comme trois relatives, qui dépendent de l'antécédent hodeyek-î qurîn .

III. Valeurs de la relative

i) Valeur circonstancielle

§23. Parfois, une proposition relative peut avoir un sens de circonstancielle (cf. IV, B). La complexité des faits impose que l'on ne peut pas toujours établir une limite tranchée entre certains phénomènes. Les interconnexions, les flottements, les doubles interprétations, sont constants. Dans le cas des relatives, c'est l'entourage sémantique qui peut déterminer des interprétations diverses d'une même proposition. Elle peut, à ce moment, avoir plusieurs valeurs. Il ne faut pas négliger le fait que la langue traduit au moyen de structures ce qui existe dans la pensée, et la sémantique joue alors un rôle de tout premier ordre. Dans cet ordre de choses, il n'est pas étonnant qu'une proposition qui a la structure d'une relative puisse être interpretée comme une circonstancielle.

§24. (a). L'un des cas les plus évidents de ce qu'on vient de dire est celui des relatives finales. Il s'agit en fait d'un type concret de relatives, dont le sens de finalité est indiqué par l'emploi du subjonctif dans la subordonnée (cf. §§187-190). Cependant, dans d'autres cas, il n'existe aucune marque grammaticale qui nous indique une autre possibilité de valeur, et c'est alors le contexte qui permet une double ou triple interprétation de la relative. Souvent, d'après le contexte, une relative peut avoir valeur de circonstancielle temporelle ou causale (cf. §§191-192). Voir l'exemple qui suit:

P.G.127. Mîrza ke dît-î îtir fayde-y niye na-ye-t-e xuwar-ewe, duwazde timen-î da-ye

Mîrza, qui vit qu'il n'y avait plus de profit (et qu')il (sc. celui avec qui il est en train de marchander) ne baissait plus, donna douze tomans.

Dans cette phrase, la proposition relative, qui est une relative descriptive (cf. §173), a un sens à la fois de temporelle et de causale: "Mîrza, lorsqu'il vit..." ou "Mîrza, parce qu'il vit...". Les relatives descriptives sont plus susceptibles de recevoir ces valeurs multiples47. Il y a d'autres exemples du même style (cf. §191) :

J.G. 89. Lawe ke tirs u sam-î chaw-î Cuwamêr-î dî ba-y da-y-ewe w wut-î

Lawe, qui (ou lorsqu'il ou parce qu'il) vit la peur et l'étonnement dans les yeux de Cuwamêr, changea de sujet et dit:

Parfois, le sens de causale est le plus plausible (cf. §192):

Ex. P.G. 43. efser-î usmanî ke dest-î ne-de-geyîsht-e Bapîragha, hukm-î î'dam-î Ka Hisên da

les officiers ottomans, qui (ou puisqu'ils) ne pouvaient pas attraper (litt. leur main n'arrivait pas à) Bapîr Agha, condamnèrent Ka Hisên au gibet.

P.G. 44. Ka Hisên ke be sard-u-germ-î rojgar qal bi-bû, bo em kar-e hel bijêrdira

Ka Hisên, qui (ou parce qu'il) avait été entraîné par les fatigues de la vie (litt. le froid et le chaud des journées), fut choisi pour ce travail.

(b) La relative peut avoir aussi une valeur de conditionnelle. Dans ce cas, le sens d'hypothétique est indiqué par la forme verbale employée dans la subordonnée (cf. §184-186 et 226):

Ex. Hê. 22. her kes-îsh chû-ba de-girya (cf.§149)

quiconque y serait allé aussi, il aurait pleuré.

(c) Dans certaines conditions (emploi de l'adjectif wa déterminant l'antécédent), la relative peut aussi avoir un sens de consécutive (cf. §193):

Ex. P.G.127. Mam-e 'Elî-sh derk-u-dîwaxan-êk-î wa-y ne-bû cêga-y hesan-ewe b-ê

Mam 'Elî n'avait pas un dîwaxan (chambre d'hôtes) tel (qui) fût (litt. soit) un endroit de repos.

§25. Nous avons vu plusieurs exemples de relatives qui peuvent avoir un sens de circonstancielle. Cependant, dans tous les cas, il s'agit de vraies relatives, de propositions dont la structure est toujours celle d'une relative, mais qui peuvent recevoir une nuance propre aux circonstancielles. Pourtant, à côté de ces propositions, nous en trouvons d'autres qui peuvent avoir une structure formelle apparemment propre aux relatives et un sens de circonstancielle, mais que l'on ne saurait considérer comme de vraies relatives. Voir l'exemple suivant:

J.G. 136. heta êware her kat-ê le kel-î Sheytan hat-î-t-e xuwar-ê be yasawul-eke-t bi-lê

jusqu'au soir, dès le moment (ou pendant lequel) tu changes d'attitude (litt. tu descendis du pic du Diable), dis-le à ton gardien

Dans cette phrase, la proposition subordonnée a la structure d'une relative, dont l'antécédent (her kat-ê ) s'assimile à une locution indéfinie (cf. §149). Pourtant, le sens est celui d'une temporelle. On pourrait interpréter cet exemple comme une relative temporelle (cf. §191), mais, en fait, la locution her kat-ê est une locution conjonctionnelle introduisant des circonstancielles de temps48. Ceci est encore plus évident dans les temporelles introduites par kat-ê(k) "lorsque" (< her kat-ê(k) "chaque moment (que)"):

Ex. J.G. 54. kat-êk-î zan-î sat le no la-y da-ye le nîwe-y qise-yek-î legel hawrê-kan-iy-a hesta

lorsqu'il sut (qu')il était plus de neuf heures il se leva au milieu de sa conversation (qu'il avait) avec ses amis.

Ici, nous avons affaire à une autre proposition qui a la structure d'une relative, avec la particule relative enclitique (katêk-î ) (cf. §§99-101), mais elle doit s'analyser en fait comme un type particulier de temporelle. Le substantif qui serait l'antécédent présomptif (kat , "temps") a subi, dans ce type d'énoncé, une généralisation de sens, et il a la fonction d'une conjonction, après qu'a été omis l'adjectif her "chaque, tout" (cf. §149), qui lui impose, à l'origine, la marque d'indéfinitude (-êk , cf. §149(a)).

On retrouve ce même phénomène avec d'autres circonstancielles introduites par des locutions pouvant se décomposer et étant alors susceptibles d'être interprétées comme des relatives. Par exemple, des conditionnelles:

Ex. J.G. 11. e-y-wîst shit-ê bi-ka (...) be merc-ê Kalê l-em jan-u-azar-e rizgar ka-t

il voulait faire quelque chose (...) à condition (qu')il libère Kalê de sa douleur.

Voici un exemple de locution introduisant une modale:

J.G. 11. le jur-eke dest-î kird-e hat-u-cho be cor-êk ke ziyatir le loqe kirdin e-chû na piyase kirdin

dans la chambre, il se mit à circuler, de telle sorte qu'il semblait trotter au lieu de se promener.

§26. Certaines propositions circonstancielles peuvent être introduites par des locutions conjonctionnelles constituées d'une préposition plus le démonstratif ewe (cf. II, C) et la particule relative enclitique -î/-y (cf. §§99-101) (par exemple: bo ewe-y (ke) , "pour que, afin que"; le ber ewe-y (ke) , "puisque"..., cf. §59). Ces locutions ont leur origine dans des structures propres aux relatives dont l'antécédent est un démonstratif (cf. II, C), mais elles constituent une unité introduisant des propositions qui ne sont pas relatives.

ii) Rapports des relatives avec les complétives

§27. Le démonstratif joue un rôle essentiel dans les relatives (cf. II, B et C), ainsi que dans les propositions complétives49. Lorsque la structure de la principale l'impose (cf. III, A), la complétive reçoit une structure proche d'une relative. Voir l'exemple suivant:

J.G. 87. wext-e bi-lê-m l-ewe-sh ziyatir ke le zîndan-a tase-y serbestî-m e-kird êste tase-y ewan e-kem

je pourrais dire presque (que), plus encore que le désir, en prison, de me voir libre (litt. plus encore que ce que, en prison, je faisais le désir de ma liberté), maintenant je les désire [sc. ma femme et mon fils] (= j'ai un plus grand désir d'eux que celui que j'avais de ma liberté, en prison).

La complétive (ke le zîndan-a...) est annoncée par le pronom ewe , vidé de sa valeur démonstrative, qui se place là où devrait se situer la subordonnée, à la fonction appropriée (complément du comparatif). Le démonstratif est alors une sorte de résomptif cataphorique. Cette construction est, formellement, l'équivalent d'une relative dépendant d'un démonstratif (cf. II, C). Pourtant, il s'agit bien d'une complétive.

L'interprétation de certaines phrases peut être ambigüe:

Ex. J.G. 79. însan ewe-y la giran-e ke wa naw-î Cuwamêr-î le ser bû...

l'homme, il lui semble lourd de porter le nom de Cuwamêr (le brave) (litt. ce de son côté est lourd qu'ainsi le nom de Cuwamêr fut sur lui)

Dans cet exemple, l'enclitique -y rattaché au démonstratif (ewe-y ) est le pronom personnel enclitique (en fonction possessive) qui détermine le substantif la "côté", souvent employé dans des expressions idiomatiques et locutions verbales: ewe la-y giran-e ke... "il lui semble lourd que (litt. son côté est lourd du fait que)". Il ne s'agit donc pas de la particule relative enclitique, comme on pourrait le croire à première vue. La proposition subordonnée n'est pas une relative, mais une complétive.

IV. L'analyse de la relative

§28. (a) Dans la première partie de notre travail, nous avons essayé d'exposer certaines caractéristiques permettant de préciser et de définir la phrase relative en kurde. Nous avons vu que la relative est une subordonnée qui a fonction d'expansion nominale (cf. §§ 2 et ss.), qu'elle détermine un (pro)nom (cf. §4) qui constitue le centre relativé, dit antécédent(cf. §5 et ss.), et nous avons vu quelles sont les fonctions relativables dans cette langue (cf. II, B). Nous avons aussi signalé le besoin d'analyser la relative comme un ensemble comprenant la proposition dite principale et la proposition subordonnée (cf. §§20-21). Enfin, nous avons vu que la relativation n'est pas toujours évidente. Il y a des cas où des propositions juxtaposées sont susceptibles d'être comprises comme des relatives (cf. §22); d'autre part, l'on trouve souvent des échanges de valeur entre les relatives et certaines propositions circonstancielles (cf. §§23-26), et certaines structures de la complétive se rapprochent parfois de celles des relatives (cf. §27).

(b) Après avoir essayé de donner cette définition générale de la relative kurde, nous aborderons dans les parties qui suivent des problématiques diverses menant à une analyse la plus complète possible du phénomène de la relativation dans cette langue. Notre étude de la phrase relative en kurde central a privilegié l'aspect syntaxique, sans pour autant oublier la sémantique, surtout lorsque celle-ci est indiquée par des traits morphologiques ou syntaxiques.

La deuxième partie du travail est consacrée à l'étude de l'antécédent, de sa nature (cf. II, A), des moyens qui permettent de le déterminer (cf.II, B), ainsi qu'à l'emploi du démonstratif comme antécédent (cf. II, C).

Puis, dans la troisième partie, nous analyserons plusieurs aspects qui se rapportent à la structure syntaxique de la relative: la place de la proposition relative par rapport à la principale (cf. III, A), l'emploi des relateurs (cf. III, B), les résomptifs (cf. III, C), les relatives indéfinies, introduites par des interrogatifs en fonction de pronom relatif, des locutions relatives indéfinies et des locutions indéfinies relativées (cf. III, D).

Dans la quatrième partie, ce sont les différents types de relatives qui retiendront notre attention: en premier, la distinction traditionnelle entre relatives descriptives et relatives restrictives (cf. IV,A), ainsi que leur pertinence logique et sémantique (cf. §§150-163), leurs marques formelles (intonation et ponctuation, cf §§164-170) et leurs marques grammaticales (cf. §§179-182); deuxièmement, les relatives circonstancielles (IV, B).

Après l'analyse de la structure de la relative, à la lumière également de la distinction restrictives-descriptives, la cinquième partie sera consacrée à l'analyse des relatives complexes: relatives coordonnées (cf. V, A), relatives subordonnées (cf. V, B) et d'autres propositions subordonnées à des relatives (cf. V, C). Ce sujet sera traité en ce qu'il a de pertinent quant aux modifications qui peuvent se produire au sein de la structure de la relative, telle qu'elle a été définie dans les chapitres précédents.

Enfin, dans une sixième partie, nous analyserons brièvement l'emploi des temps et des modes dans les relatives (cf. VI).


Notes de la première partie

 

 

21A propos de cette considération, cf. C.Touratier, La relative , pp. 23-68.

22Cf. ibid.

23Cf. A. Martinet, Eléments , pp. 129-130; Grammaire , p.66.

24Cf. C.Touratier, La relative , pp. 535 et ss.

25Cf. C.Touratier, La relative , pp. 35-52.

26Cf. C.Hagège, La structure , p. 61.

27Cf. E.Benveniste, "La phrase relative" (cf. Bibl. III).

28Cf. E.Benveniste, "La phrase relative", p. 220.

29Cf. C.Hagège, La structure , p. 62.

30Cf. G.Lazard, Grammaire , p. 222.

31Cf. C.Touratier, La relative , p. 546.

32Cf. C.Hagège, La structure , pp. 64-65.

33Cf. E.Benveniste, "Fondements syntaxiques de la composition nominale", BSLP , C. Klincksieck, t. LXII (1967), fasc. I, pp. 15-31, reproduit dans Problèmes, 2, pp. 145-162, pp. 156-160.

34Cf. S.Bassols i Codina, Les mots composés en Kurde Central: la composition nominale, Mémoire de D.E.A. Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, Paris, 1992, pp.88-93.

35Cf. C.Hagège, La structure , p. 63.

36Cf. K.E. Letîf (=K. Mukriyanî), Diyarxer (cf.Bibl.)..

37Cf. J. Blau, Manuel , pp. 58-59; E.H. Marif, Naw , pp. 232-239; Mck., §185.

38Cf. S. Bassols i Codina, Les mots composés (ref. ci-dessus, note 34), pp. 43-44; E.H. Marif, Wusheronan le ziman-î kurdîda (La formation des mots dans la langue kurde), ASK, Bagdad, 1977, pp. 41 et 84-86; Mck., §253.

39Cf. C.Hagège, La structure , p. 61, note 21.

40Cf. A. Martinet, Eléments , pp. 141-142.

41Cf. I.A. Ibrahîm, Riste , pp. 29-31.

42Cf. I.A. Ibrahîm, Riste , p. 36: "ew nawe-y, ke riste-y shön kewtû-y diyarxerî degerêtewe ser pê-y dewutrê naw-î diyarxiraw" ("le nom auquel fait référence la proposition relative est appelé nom déterminé") (je souligne).

43Cf. C.Hagège, La structure , p. 63.

44En ce qui concerne la construction agentielle en kurde (construction des verbes transitifs au passé), nous adoptons, tout au long de notre travail, la terminologie établie par MacKenzie (cf. Bibl. II). L'affecté direct désigne le patient, et l'affecté indirect, le bénéficiaire.

45Il existe un flottement constant entre le pronom démonstratif et le pronom personnel tonique de la 3ème personne: cf. §57.

46Cf. C.Touratier, La relative , pp. 11-22.

47Cf. C.Touratier. La relative, p.341-347.

48Sur les propositions temporelles, cf. J. Blau, Manuel , pp. 154-155; I.A.Ibrahîm, Amraz , pp. 58-59; K. Mukriyanî, Sîntaks , pp. 82-83.

49A propos des complétives, cf. J. Blau, Manuel , p 154; I.A.Ibrahîm, Amraz , pp. 57-58; K. Mukriyanî, Sîntaks , pp. 77-78.